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Vendre Répondre à l’évolution des marchés et des attentes sociétales

Le nouveau modèle de point de vente Arbres & Co mise sur le service et le conseil. Le client est accompagné dans son projet, il fait sa shopping-list de végétaux qui lui sont livrés chez lui.

Quels végétaux produire demain face aux nouvelles demandes des consommateurs et aux mutations des marchés ? Cette question était au cœur du congrès Verdir, organisé à Brest (29) les 26 et 27 juin.

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Trois grands axes de réflexion ont structuré le dernier con­grès Verdir : l’adaptation au changement climatique (voir Le Lien horticole n° 1148 pages 40 et 41), les opportunités liées à l’innovation et à la diversification, ainsi que l’évolution des marchés et des attentes sociétales. Ce dernier enjeu, marqué par des mutations des usages et des comportements de consommation, apparaît aujourd’hui comme un levier de transformation pour la filière.

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Le cocooning à la française

Jean-Laurent Cassely, journaliste et essayiste, spécialiste des modes de vie urbains, a présenté les principales dynamiques de la consommation. « La France des grandes agglomérations continue à être attractive », constate-t-il. Avec une nuance toutefois : ce sont plutôt les couronnes pavillonnaires, les banlieues résidentielles qui sont concernées : elles offrent des commerces, des services, des hôpitaux, des universités, des écoles, etc. Outre cette « méga-périurbanisation », une partie de la population – retraités mais aussi salariés rendus mobiles par le télétravail – s’installe « au pays des vacances », notamment le littoral atlantique. Ces nouvelles dynamiques territoriales influencent la demande de végétaux en fonction des lieux de vie et des projets de construction ou d’aménagement.

Rappelant qu’il existe plusieurs types de consommateurs, le journaliste relève mal­gré tout quelques grandes tendances. Ainsi, depuis la pandémie, les Français restent volontiers chez eux, « une sorte de cocooning érigé au rang de l’art de vivre à la française qui s’est généralisé ». S’ils sont « le peuple le plus équipé en piscines dans le monde », ce n’est pas uniquement pour faire face aux canicules, mais aussi pour se retrouver entre amis ou en famille.

Avec l'avènement d'une culture du discount et du low-cost, le marché se polarise entre le très bas prix et le haut de gamme axé sur le service, plaçant les jardineries spécialisées dans une situation compliquée. (© F. Arnould)

La trilogie pouvoir d’achat, temps libre, compétences

Le succès des plats alimentaires préparés ou surgelés entre en contradiction avec l’image du Français « Top Chef ». Dans la réalité du quotidien, « ce qui facilite la vie et fait gagner du temps a le vent en poupe ». à l’impression de manque de temps s’ajoute le manque de compétences pour le jardinage, contrairement aux générations précédentes. Ainsi, les consommateurs, souvent « passifs », cherchent la commodité et des services qui « viennent à la maison ».

Les occasions d’achat sont multiples, avec une concurrence accrue entre canaux de distribution (magasins physiques, e-commerce, seconde main), mais aussi les secteurs (loisirs vs. végétal) et les moments de consommation. « Il y a un assouplissement du calendrier, avec de nouveaux entrants » : à la fête des Mères, la Saint-Valentin, Noël… s’ajoutent le Black Friday, le Cyber Monday… Paradoxalement, dans un contexte de pression sur le pouvoir d’achat, « les Français ont sanctuarisé le budget loisir depuis le Covid », ils veulent se faire plaisir.

Des préférences sous influence

Enfin, Jean-Laurent Cassely met en lumière la globalisation des sources d’inspiration et leur accélération. En témoigne le changement des races de chiens préférées : le berger allemand, favori des Français pendant cinquante ans (publicité Royal Canin, 30 millions d’amis…), détrôné en 2018 par le berger australien, mais aussi le chihuahua et le shiba inu, popularisés respectivement par Paris Hilton et par l’influenceur Squeezie.

Un autre exemple, alimentaire celui-ci, illustre l’évolution des perceptions, ainsi qu’une demande de traçabilité, de qualité et de sens : la préférence croissante pour la truite fumée locale et traçable par rapport au saumon importé, en raison de préoccupations sur l’origine et les méthodes de production.

La nécessité du végétal et sa perception

Selon Jean-Laurent Cassely, le végétal est à la fois un luxe, un loisir (passe-temps), et un essentiel (nourriture). Il est reconnu pour ses « bienfaits » multiples pour la société, qui vont de l’environnement (poumon des villes, amélioration du cadre de vie…) à la santé humaine (alimentation, soins…). Il fait naître, notamment au printemps, une envie de planter, de se reconnecter à la nature.

Malgré ces atouts, « est-ce une demande prioritaire ? » s’interroge l’essayiste. Le végétal est en concurrence avec d’autres loisirs (restaurants, voyages…), « y compris ceux qui dématérialisent l’expérience du jardinage » : le journaliste cite l’exemple du jeu de simulation Grow a Garden (« Faire pousser un jardin »), proposé sur la plateforme Roblox, qui a obtenu le record historique de nombre de connexions simultanées en juin dernier (29 millions de joueurs). Le végétal est fréquemment perçu comme une priorité moindre par rapport à des dépenses plus spontanées (hésitation à acheter une plante à 30 € pouvant durer sept à huit ans plutôt qu’une pizza).

Le triptyque qualité/éthique/prix commence à se mettre en place, même si le prix reste dominant et si des questions se posent sur la signification des deux premiers termes pour les consommateurs (importance de la présentation, de la provenance ?). Le journaliste relève un discours de la distribution orienté sur la « sensibilité au prix », alors que les producteurs parlent « de qualité, de provenance, de valeur ». D’autres modèles tirent leur épingle du jeu. Il cite l’exemple de l’enseigne Grand Frais : calqué sur les « halles », il ne ressemble pas à de la grande distribution et se permet donc d’être plus cher.

Faire connaître, donner envie

Il existe une ignorance du grand public quant à l’origine et à la complexité de la production végétale. Beaucoup pensent que les plantes « poussent derrière le jardin de Jardiland ou derrière Truffaut ». Cela souligne un manque de visibilité de la filière et de ses métiers.

« Vous demandez à vos consommateurs de l’argent, mais également du temps et des compétences. C’est difficile d’être florissant dans un marché aussi culturel, avec des consommateurs qui parfois n’ont pas les connaissances, n’ont pas le temps, n’ont pas l’intérêt. »

Pour conclure, Jean-Laurent Cassely invite la filière à un travail d’éducation : il faut faire connaître les bienfaits du végétal, faire envie, « c’est-à-dire valoriser ce que vous êtes, valoriser votre filière ». L’objectif est de regagner une « perte d’influence » et un « chemin vers le consommateur final ». Que ce soit par des labels, des influenceurs, des publicités ou autres, la question reste posée. Mais le métier bénéficie d’un capital sympathie sur lequel il peut s’adosser.

Proposer de nouvelles approches commerciales

Face aux évolutions de la consommation, la distribution a-t-elle su s’adapter ? En tout cas, elle est confrontée à de vrais défis : difficultés des jardineries spécialisées (fermetures, suréquipement commercial), pression sur les prix, manque d’autonomie des magasins face aux centrales d’achat, dévalorisation du végétal.

Pour Manuel Rucar, tendanceur et fondateur du cabinet Chlorosphère, entre le discount qui progresse et le haut de gamme polarisé sur le service, la distribution spécialisée se situe pile au milieu et souffre. Les magasins indépendants, plus agiles, s’en sortent, comme le e-commerce. Le modèle arrive à une limite.

Le tendanceur a présenté une formule de franchise innovante : Arbres & Co. La pépinière d’origine, qui a été créée à Bourg-en-Bresse (01) en 1933 et s’est diversifiée vers le paysage dès 1971, a un bel historique. Pourtant, elle cherchait à capter plus facilement le consommateur et accompagner la vente directe, en progression. Son dirigeant, Florian Di Pierno, s’est tourné vers Chlorosphère. L’étude de marché a mis en évidence un développement possible en centre-ville avec des locaux disponibles. Le nouveau modèle cible les jeunes urbains (29-35 ans) ayant besoin de plantes pour leur jardin après l’achat de leur maison. Les boutiques, en centre-ville, sont axées sur le conseil, les services (rempotage sur place possible, nombreux ateliers) et une offre différenciée (jeunes plants forestiers, racines nues, plantes d’intérieur). Il repose aussi sur la « livraison-installation » à domicile, permettant de réduire les coûts liés à l’exposition de l’offre végétale complète : « Le consommateur fait sa shopping liste, puis les végétaux sont livrés chez lui. » La marge importante réalisée sur les services permet des prix compétitifs sur les produits.

Ces boutiques sont conçues comme des lieux de vie basés sur l’authenticité, avec des meubles anciens, des produits maison, des étiquettes faites à la main, pas de tête de gondole... L’idée est de vendre une expérience, de faire plaisir et faire rêver, plutôt que de se focaliser uniquement sur le prix. « L’expertise de chaque boutique, c’est la vente, précise Manuel Rucar. Ce ne sont pas des pros du végétal. On ne peut pas tout savoir. Chaque site travaille avec des partenaires producteurs, paysagistes, fleuristes… »

Après une phase de test et un lancement en 2024, il existe aujourd’hui cinq boutiques en France et six projets en 2025.

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